Psychanalyse et violence sociale

Ce qui suit est un exposé théorique.

L'école psychanalytique des Hauts de France - Membre de L'Association Lacanienne Internationale a organisé à nouveau des journées d'études en Mars 2017 sur le thème "Psychanalyse et violence sociale".

C'est dans ce cadre que ce texte a été ecrit et exposé.

Mutation de la psychanalyse ?

 

Le titre de ces journées : « psychanalyse et violence sociale » me laissait longtemps perplexe voire mal à l’aise, sans que je sache vraiment pourquoi. Jusqu’au moment où un collègue que j’apprécie beaucoup me confie un soir le thème de son exposé. Il avait l’intention de parler du terrorisme car me dit-il  « tout le monde en parle dans les médias, mais on n’entend pas les psychanalystes. » 

Je me disais alors qu’il avait peut-être un terroriste en analyse, ce qui me semblait tout de suite fort peu probable, la violence ne faisant pas bon ménage avec le dire.

 

Je me demandais alors, pourquoi un psychanalyste serait-il en mesure de parler du terrorisme ? Et sur quoi il se fonderait pour dire quelque chose de consistant sur cet événement? A moins qu’il ne se sente lui aussi soumis à l’injonction surmoïque généralisée de devoir « communiquer pour exister », comme on dit pour exister il faut communiquer. C’est bien pourquoi cet intitulé « psychanalyse et violence sociale »  me semble faire problème. Cela dit qu’est-ce qui me semble faire problème dans ce titre? c’est qu’il laisse supposer comme séparé d’une part la psychanalyse et d’autre part la violence sociale. A moins que ce titre n’indique qu’il s’agisse de deux champs extérieurs l’un à l’autre qui pourraient se conjoindre ou se disjoindre, alors comment?

Chacun peut constater que nous vivons aujourd’hui une aire dans laquelle règne la plus grande violence: violence terroriste, violence policière, violence d’état, violence économique, violence des banlieues, violence professionnelle etc… Mais ces exemples que nous pourrions presque multiplier à l’infini, est-ce qu’ils nous permettent d’en déduire une définition structurale de la violence? On sait qu’il ne suffit pas d’énumérer quelques exemples pour faire une définition comme le rappelle Socrate à Menon dans le texte éponyme.

    Depuis que le monde est monde, l’aptitude à la violence se retrouve chez quasiment tous les êtres vivants, chez l’homme comme chez l’animal. Pourtant, seul l’homme fait la guerre, seul l’homme assassine, et il n’y a que dans les sociétés humaines que l’on retrouve une violence érigée avec beaucoup de subtilité et de raffinement au rang d’un système, d’une organisation ou d’un état.

Cependant, appartient -il à la psychanalyse de rendre compte d’une violence résultant  de la force exercée par un groupe, que ce groupe soit social, politique ou autre? L’étude de ces questions relèvent habituellement de la sociologie, de la philosophie politique ou de l’histoire.

J’ai reçu un mail récemment dans lequel le conseil d’administration d’une école de psychanalyse bien connue disait avoir approuvé à l’unanimité, le principe d’un appel à voter contre Marine Le Pen et le FN aux prochaines élections. Comment justifier cette position de  désarroi qui anime les associations de psychanalyse face à la violence ambiante?  

Car enfin, si c’était au titre de citoyen qu’un psychanalyste s’engageait dans l’espace public à propos d’une telle question, il n’y aurait rien à redire. Mais qu’il le fasse au nom du groupe de psychanalyste auquel il appartient et dont ce n’est pas l’objet, ne s’agit-il pas d’une dérive communautaire ? 

Bien sûr, l’intention est louable, mais qu’est ce qui empêcherait de prendre une autre position une prochaine fois ?

Et quand bien même la position prise par ce conseil ne relèverait pas d’une opinion politique commune, mais s’appuierait sur l’investigation psychanalytique de la violence, Est-ce que la théorie psychanalytique se doit d’être convoquée au titre d’un savoir positif en dehors de sa pratique?

Il ressort de tout cela que si la psychanalyse ne doit pas faire l’impasse sur la violence, sur ses causes et ses déterminations, elle ne peut le faire, me semble-t-il que dans son champ propre, c'est-à-dire sans la rabattre, ni sur l’instinctuel, le biologique ou l’organique, ni sur le sociologique.

Par conséquent, le signifiant « sociale » doit être pris ici au sens où Freud entendait la psychologie sociale. C’est à dire comme il l’énonce  au début de psychologie des foules et analyse du moi (je cite): «  dans la vie psychique de l’individu pris isolément, l’Autre ( écrit avec un grand A) intervient comme modèle, soutien et adversaire, et de ce fait, la psychologie individuelle est aussi d’emblée et simultanément une psychologie sociale, en ce sens élargi mais parfaitement justifié. »

Cela ne signifie pas que le social se réduise au groupe, mais bien à ce qui lie dans la vie psychique l’individu à L’Autre. Et nous savons que cet Autre sera défini par Lacan ensuite comme l’ordre du langage.

Peut-on dire qu’un animal est violent ou agressif ? Un animal attaque sa proie pour manger ou se bat avec un congénère pour survivre, c’est de l’ordre de l’instinct. Faire  preuve chez l’homme de violence ou d’agressivité nécessite d’en concevoir l’intention et le sens. « L’homme est un être culturel par nature parce qu’il est un être naturel par culture » disait Edgar Morin. La violence n’est l’apanage du genre humain que parce qu’elle est indissociable de son inscription dans le langage.

C’est cette thèse que défend Lacan dans un texte de 1948 intitulé: « l’agressivité en psychanalyse ». Pour lui, si l’agressivité se manifeste dans le cadre de l’expérience psychanalytique, c’est parce la psychanalyse est une expérience de discours. On ne peut pas séparer la violence du discours.

Cette hostilité du patient en psychanalyse surgit dans « les suspensions du discours, dans ses hésitations, ses lapsus, dans les irrégularités de la règle ou dans les retards aux séances, ainsi que dans les reproches, les réactions de colère etc… » (Lacan)

Lacan précise portant que la manifestation de la violence à proprement parler y est rare, puisqu’on se trouve dans une situation où par convention le dialogue est de règle. 

Cette remarque semble distinguer l’agressivité qui se manifesterait dans le cadre d’un dialogue, de la violence qui serait alors du côté de l’agir. La phrase de Charles Melman   citée dans l’argument semble d’ailleurs y faire écho: « la violence apparaît à partir du moment où les mots n’ont plus d’efficacité » . Et pourtant, est-ce qu’on ne peut pas dire que dans ce qu’on appelle l’endoctrinement les mots ne sont pas efficaces?

Mais alors il me semble que nous sommes face à une nouvelle difficulté. 

Il faut rappeler peut-être ici, à l’instar de Lacan, que l’agressivité est en jeu dans la cure analytique.

 En 1948, la France et l’Europe sortaient de la guerre qui fut aussi une période de grande violence institutionnalisée, de déchainement de la pulsion meurtrière s’il en est.

Si Lacan souhaite examine le statut de l’agressivité dans le champ de la psychanalyse, c’est pour donner une dimension subjective à la violence. 

Il favorise ainsi l’émergence de ce qui dans l’inconscient cristallise les manifestations d’agressivité du sujet, permettant au patient d’analyser au travers d’un dire la violence qu’il éprouve plutôt que de l’agir dans la vie sociale…

 

Isabelle Devos, psychanalyste près de Lille, 59